L’ergonomie est la recherche d’un idéal. Il est difficile de parier seulement sur l’utilité pour satisfaire les utilisateurs et les fidéliser. Dans l’idéal, il faut associer utilité, utilisabilité et esthétique sous la forme d’un compromis. L’idée serait également de revaloriser la fonction du Design en reconnaissant son poids dans la satisfaction globale de l’utilisateur.

Cloninger a publié en 2000 un article intitulé « Usability experts are from Mars, Graphic Designers are from Venus« . Derrière ce titre provocateur se cache la réalité de deux métiers diamétralement opposés, mais fatalement complémentaires : les experts de l’Ergonomie et les créatifs du Design.

Repartons ici des mots de Donald Norman, professeur en sciences cognitives à l’université de Californie et ancien UX architect d’Apple.

« Aesthetics matter: attractive things work better ». The Design of Everyday Things, Donald Norman.

Ce postulat inspire plusieurs remarques visant à réconcilier les deux approches en les mettant au service d’une qualité globale de l’interface, tournée vers la satisfaction de l’utilisateur. Cet article résume pour vous les analyses de Donald Norman, mais aussi celles de Karen Dion et Elllen Berschied,  très justement reprises en 2003 dans cet article technique d’Amélie Boucher : Ergonomie et beauté des choses.

Sans esthétique, une moindre perception de l’utilisabilité.

Il faut parvenir à concilier utilisabilité et esthétisme, c’est-à-dire le travail de l’ergonome d’un côté et celui du designer de l’autre. On a déjà démontré l’importance d’une conception basée sur l’ergonomie et les bénéfices à retirer d’une démarche centrée sur l’utilisateur. Toutefois, la seule recherche de l’utilisabilité n’assure pas l’adoption du produit par les utilisateurs. La perception qu’ont les utilisateurs d’une interface repose seulement en partie sur sa qualité d’utilisation réelle. Elle reste très influencée par des perceptions purement esthétiques.

Par conséquent, Ergonomie et Design ne peuvent pas s’ignorer et doivent rechercher ensemble la meilleure conception possible et viser une qualité d’utilisation globale, à la fois réelle et perçue. « What is beautiful is good » (Dion, Berscheid et Walster) : ce qui est vrai en psychologie sociale l’est aussi en interface, l’apparence des interfaces peut nous faire penser qu’elles sont attirantes, modernes ou encore faciles à utiliser.

L’esthétique cultive l’envie, là où l’utilisabilité ne garantit rien.

L’attractivité visuelle d’un produit multimédia n’est souvent considérée que de manière accessoire : parfois elle n’apporte rien à la qualité d’utilisation, parfois elle peut même l’entraver. Dans cette logique, facilité d’utilisation et recherche de l’esthétisme s’évitent pour ne rien compliquer. Pourtant, les belles choses donnent envie d’être utilisées et l’homme a une tendance naturelle à préférer le beau.

L’argument inverse valide cette idée : il est difficile, voire improbable de faire adopter à des utilisateurs une interface affreuse, surtout en situation de concurrence. À utilisabilité égale, on risque que le produit ne soit pas utilisé. L’utilisabilité seule ne garantit pas l’utilisation. L’esthétique d’une interface influence donc la perception de l’utilisation et est chargée de valeurs qui donnent un sens à l’usage.

L’esthétique du produit est aussi recherchée pour elle-même.

Beaucoup d’auteurs en ergonomie considèrent que l’esthétique n’est importante que lorsqu’elle se met au service de l’utilisabilité. On considère que la valeur esthétique d’une interface doit être travaillée pour souligner par exemple l’organisation de l’information. Les éléments de design « gratuits », sans autre vocation que d’être beaux, perdent en intérêt.

On oublie que les belles choses donnent aussi une expérience agréable et sont recherchées par des utilisateurs esthètes. Donald Norman s’engage aussi pour la beauté pour elle-même, une recherche complémentaire et non plus tributaire de l’utilisabilité. La simple apparence des choses peut nous donner satisfaction. En d’autres termes : « aesthetics matter ».

Même subjective, l’esthétique fait l’objet de consensus culturels.

Définir la beauté est un acte subjectif et propre à chacun. Pour juger de la beauté graphique d’une interface, les critères sont moins objectifs que pour son utilisabilité qui se réfère par exemple au nombre d’erreurs chez les utilisateurs ou à la durée de réalisation de leur tâche. Au mieux, on peut se reposer sur les grandes tendances du web design et sur quelques éléments de bon goût.

Cependant, on peut objecter à cette vision que, culturellement, certains jugements font l’unanimité. Les sociétés occidentales définissent la beauté d’une manière spécifique et différente des sociétés orientales. Ces constantes permettent entre autres d’associer des couleurs à des émotions. Gérard Caron, fondateur de l’agence carré noir, a conceptualisé ce langage des couleurs.

L’esthétique a un impact cognitif sur l’utilisateur.

Les recherches en psychologie cognitive soulignent que la beauté d’une interface peut jouer sur l’affect et avoir une incidence sur le comportement de l’utilisateur et la performance de l’utilisation. On parle d’ailleurs de « plaisir » à l’utilisation. Isen, Daubman et Nowicki ont montré que l’humeur influence le raisonnement, l’apprentissage et la compréhension des informations traitées dans l’étude « Positive affect facilitates creative problem solving ».

La beauté visuelle des interfaces aura tendance à induire un affect positif et à générer des habitudes. Au contraire, une interface inesthétique produira un affect négatif agissant en interférence sur la cognition. Il faut toutefois préciser que l’étude des humeurs et de leur influence sur la cognition est complexe, d’autres paramètres comme la personnalité entrent en jeu et modèrent ces résultats.

L’utilisabilité, c’est bien plus que la facilité d’utilisation.

Si on reprend la définition même de l’utilisabilité (norme ISO 9241), on se rend compte que la satisfaction de l’utilisateur est un critère de l’utilisabilité, bien qu’il ne soit pas facile à mesurer. Dans ces conditions, le design est un moyen supplémentaire de satisfaire l’utilisateur. Un utilisateur sera plus indulgent avec l’utilisabilité d’une interface qui est belle. C’est la problématique de la « good experience ».

Un utilisateur ne se rend pas compte aussi facilement des défauts d’utilisabilité. Il est difficile de réaliser que l’on pourrait être plus efficace ou plus rapide avec une interface conçue autrement. Au contraire, le jugement esthétique est immédiat. On sait tout de suite si le design de l’interface plaît ou non. C’est une perception qui définira la « première impression » et aussi en partie l’indice de satisfaction.

Une charmante mise en scène de la démarche par Apple :